Comité des parties prenantes : pratiques et efficacité

Pierre-Henri Conac est professeur de droit commercial à l’Université du Luxembourg, Acting Director du Luxembourg Centre for European Law (LCL) et Max Planck Fellow. Il est rédacteur en chef de la Revue des Sociétés (Dalloz) et co-rédacteur en chef de la European Company and Financial Law Review (ECFR, de Gruyter). 

Depuis la fin de la Guerre Froide en 1991, le modèle triomphant du capitalisme libéral prônait la gestion des sociétés dans l’intérêt exclusif de leurs actionnaires. Ce modèle fut cependant rapidement remis en cause par des excès envers les droits humains et l’environnement et par la crise boursière de 2001 et la grande crise financière de 2008.

En réaction aux dérives sociales, environnementales et économiques du capitalisme libéral une partie de l’opinion publique a alors revendiqué la création des concepts fondateurs de la RSE. Ces derniers promeuvent désormais l’intégration des parties prenantes internes et externes dans la gestion des entreprises. Ces concepts mis en œuvre par des initiatives privées sont aujourd’hui soutenus par certains États et la règlementation, notamment par la création de comités RSE. 

Cependant, même la création des comités RSE ne satisfait pas certains courants de pensée qui veulent maintenant aller plus loin et demandent la création de « comités des parties prenantes ». Ces organes de surveillance seraient composés d’acteurs internes et externes affectés par les activités de l’entreprise. Néanmoins, ils se doivent d’évoluer dans le cadre des principes et des règles applicables aux sociétés commerciales.

Les comités de parties prenantes souffrent cependant d’une contradiction. S’ils n’exercent qu’une fonction consultative, leur rôle se limite à un dialogue sur la politique générale de la société qui bénéficie alors de leur expertise. Malgré cette utilité, l’avantage comparatif des comités de parties prenantes est faible par rapport à une approche traditionnelle centrée sur des experts nommés au conseil d’administration. 

Surtout, dans le cadre de la hiérarchie et de la spécialisation des organes sociaux, le comité de parties prenantes ne peut prendre le risque d’exercer un pouvoir décisionnel indirect. Même ponctuellement et en tant qu’organe distinct du conseil, il deviendrait illégal et ferait peser l’épée de Damoclès d’un risque de responsabilité sur ses membres.

Certes, des entreprises françaises « en pointe » comme Danone, société à mission, Michelin ou Veolia défendent avec vigueur le modèle d’implication des parties prenantes au travers d’un comité de parties prenantes. Mais au-delà ? Pourtant, n’y a-t-il pas un effet d’optique? De plus, par leur composition, leur renouvellement et l’encadrement de leur fonctionnement, les comités de parties prenantes sont confrontés à des difficultés. Ces dernières sont liées au risque d’arbitraire dans le choix des parties prenantes, et de complaisance, dans le choix de ses membres, ou bien à la participation délicate des ONG, dont l’agenda politique peut se révéler incompatible avec l’activité de l’entreprise comme dans le secteur des énergies fossiles. 

Une approche plus classique reposant sur le comité RSE et la place centrale du conseil d’administration dans la définition de la stratégie et dans la gestion de la société sous le contrôle de l’assemblée générale est considérée comme suffisante, à juste titre, par la très grande majorité des sociétés cotées françaises. C’est sage car la prise en compte des attentes de parties prenantes externes doit se faire dans le cadre de la gouvernance classique et éprouvée des sociétés anonymes. Ces parties prenantes exigent de « participer » à l’entreprise, à la définition de sa stratégie et implicitement à sa gestion, ou au moins à ce que leurs intérêts soient pris en compte. En réponse à ces attentes, la gouvernance classique des sociétés anonymes a prouvé son efficacité et sa flexibilité. Ainsi les entreprises peuvent simplement utiliser un comité RSE, auquel une partie prenante peut être intégrée ou associée. Elles peuvent aussi désigner un ou plusieurs administrateurs référents en RSE engagés dans un dialogue régulier avec les parties prenantes. C’est notamment la stratégie employée par la société Legrand, très en pointe en France sur le dialogue avec les parties prenantes. 

La société anonyme, merveilleux instrument juridique du capitalisme moderne, selon l’heureuse expression du Doyen Ripert1, est et doit rester une démocratie actionnariale. 

1 Georges Ripert, Aspects juridiques du capitalisme moderne, LGDJ, 1951, p. 106. 

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