La biodiversité désigne l’ensemble des êtres vivants, leur patrimoine génétique et (surtout) leurs interactions au sein d’écosystèmes (forêt, marre, prairie etc). Ces écosystèmes, lorsqu’ils sont en bon état, rendent ce que l’on appelle des services dits écosystémiques (), essentiels au fonctionnement de la vie humaine, de nos sociétés, et de notre économie.
Or, on ne retrouve nulle trace de cette dépendance dans les bilans comptables… Le prix lié à une transaction économique – la vente d’un bien ou d’un service – ne répercute majoritairement pas l’impact environnemental associé à la production de ce bien ou de ce service. Le rapport de l’OCDE paru en 2019 compile quelques chiffres clés : combien vaut la pollinisation des cultures alimentaires à l’échelle mondiale ? Près de 500 milliards de dollars par an ! Combien paierait-on aux océans si l’on devait leur acheter le poisson de nos assiettes ? En se basant sur la valeur économique (à la première vente) de l’approvisionnement en produits marins issus de la pêche et de l’aquaculture ce serait près de 362 milliards de dollars par an qu’il faudrait leur verser et ce sans intégrer la production gratuite de ces poissons ! Ou encore, combien paierait-on aux aires protégées pour tous les services qu’elles nous rendent si elles étaient un acteur économique ? Le seul réseau européen Natura 2000 qui couvre 27 000 sites à travers 27 pays (soit 18,5 % de la surface terrestre du territoire de l’Union européenne, et 8,9 % de la surface marine des eaux européennes) : pollinisation, purification de l’eau, prévention des risques météorologiques, tourisme… la valeur des services fournis serait comprise entre 223 et 314 milliards d’euros par an !
La valeur des services et fonctionnalités procurés par la biodiversité se situent entre 125 000 et 140 000 milliards de dollars par an, soit plus d’une fois et demie le montant du PIB mondial en moyenne.
Ces chiffres restent une vision parcellaire encore très discutée, et ils sous-évaluent la valeur de ces services, mais ils mettent en relief l’importance économique du vivant.
Les mesures traditionnelles de la performance économique (indicateurs de chiffres d’affaires et de rentabilité) donnent une vision tronquée de la performance réelle de l’entreprise parce qu’elles n’intègrent pas suffisamment les paramètres environnementaux.
Désormais, le concept de double-matérialité permet de faire évoluer cette vision : les acteurs économiques (entreprises, organisations financières et acteurs publics) peuvent exercer des effets négatifs sur la biodiversité, des dégradations, on parle d’impacts. Ils sont parallèlement tributaires de la biodiversité pour la production de biens et de services, on parle de dépendances. L’approche « risques » met à jour ce double enjeu d’impact et de dépendance tenue par la notion de la double matérialité.
CSRD, SFDR, Taxonomie verte, à l’échelle européenne, Article 29 de la Loi énergie-climat à l’échelle française, les appareils réglementaires qui se mettent en place ont tous vocation à étendre le régime de l’information extra-financière à la biodiversité (prise en compte des enjeux, meilleure intégration au sein des stratégies et ambition d’un alignement des entreprises et des institutions financières sur les objectifs du cadre international – GBF).
Ces évolutions réglementaires ont pour but d’agir sur les risques liés à la perte de biodiversité.
L’évolution de l’appareil réglementaire est déjà un risque en lui-même pour les acteurs économiques, qui en l’absence d’actions concrètes prendront du retard sur leurs nouvelles obligations. Il appartient à la catégorie des risques dits de « transition » et que viennent recouper les risques de réputation (face à un comportement économique peu soucieux des problématiques environnementales), les risques de marché (face à l’exigence des consommateurs qui s’orientent vers des produits plus « verts »), etc.
Parallèlement, n’oublions pas que l’origine de ces risques est d’abord physique : Les inondations sont plus violentes dans les milieux urbains en l’absence de zones d’expansions de crues et face à la disparition des espaces de nature ; l’agriculture est fragilisée par la disparition des populations d’insectes auxiliaires aux cultures ; la disponibilité de la ressource en eau est moindre dans des contextes d’urbanisation croissante quand on sait la contribution des espaces forestiers ou des haies et de la végétation en général en matière de retenue de l’eau dans le sol, etc.
Pour reprendre les mots de l’économiste indo-britannique Partha Dasgupta, veillons collectivement à ce que la dimension « invisible et silencieuse » des enjeux économiques de la valeur des services écosystémiques ne justifie pas leur absence dans notre comptabilité.